- Nouveau projet

SITE OFFICIEL DE BERNARD SIMONAY
Aller au contenu

Menu principal :

LE SECRET INTERDIT
EXTRAITS


EXTRAIT N°1
Un peu plus tard, Kevin prit congé de ses hôtes. Il était furieux contre lui-même. Sur la route forestière qui le ramenait à Rocky Point, il se traita de tous les noms. Qu’espérait-il en venant ici ? Que Falcon lui affirmerait tranquillement que, bien sûr, il avait utilisé des pouvoirs surnaturels pour protéger son navire à distance, qu’il avait vaincu l’ouragan par la seule force de son esprit ? Ou encore qu’il disposait d’une technologie révolutionnaire, capable d’annihiler les effets d’un cyclone ?
— J’ai vraiment besoin de repos, dit-il tout haut.
Tout à coup, un engourdissement étrange s’empara de lui, suivi d’une bouffée de chaleur. Inquiet, il arrêta sa voiture pour reprendre son souffle. Mais le malaise s’accentua. Il descendit du véhicule, pris par un sentiment d’angoisse. Ses forces l’abandonnaient peu à peu sans raison apparente. Il songea à une attaque cardiaque et redouta de mourir. Les environs étaient totalement déserts, personne ne pourrait le secourir. Le regard trouble, il tituba jusqu’à un arbre, s’y adossa et attendit, affolé, que l’étrange sensation se dissipât. Enfin, quelques minutes plus tard, tout rentra dans l’ordre, sa respiration se calma, les battements de son cœur redevinrent normaux.
Il ferma les yeux, soulagé, et entreprit de regagner la voiture. Ce fut seulement à ce moment-là qu’il remarqua un changement bizarre autour de lui. Il lui fallut plusieurs secondes avant de comprendre : la lumière avait sensiblement diminué. Étonné, il constata que le soleil était sur le point de se coucher.
— C’est impossible ! murmura-t-il, éberlué.
Il consulta sa montre. Incrédule, il constata qu’il était près de dix-huit heures. Or, il avait quitté les Falcon vers quinze heures. Il avait pourtant la certitude qu’il ne s’était pas écoulé plus de quelques minutes depuis qu’il était descendu de voiture ! A aucun moment il n’avait perdu conscience. Il en était sûr ! Sûr !
Abasourdi, il remonta dans son 4 x 4 et regagna le motel. Par précaution, il s’allongea, mais toute trace de malaise avait disparu, comme s’il ne s’était rien passé. Il retourna le problème dans tous les sens, sans trouver d’explication satisfaisante. Il finit par admettre que, malgré les apparences, son « absence » avait duré plus longtemps qu’il ne le croyait. Il avait eu la sensation de rester conscient, mais il s’était probablement évanoui.

EXTRAIT N°2
Quelques instants plus tard, il pénétrait dans la Grande Bibliothèque. Il connaissait bien l’immense édifice, qu’il avait fréquenté avec assiduité pendant ses études. Il hésita sur la conduite à tenir. Comment retrouver cette Alexandra Delamarre parmi la foule studieuse qui déambulait dans les vastes salles encombrées d’étagères ? Il fit quelques pas, scruta discrètement quelques visages, embarrassé. Il avait l’impression que tout le monde allait s’inquiéter de son manège. De plus, il redoutait d’être reconnu. Son visage, imprimé en quatrième de couverture de chacun de ses ouvrages, ne passait pas inaperçu. Il n’avait guère envie de tomber sur un fan.
Il consulta sa montre : onze heures moins cinq. Il était un peu en avance. Il décida de s’adresser à une bibliothécaire pour obtenir des renseignements sur Saint Vaim.
— Oh, monsieur Kramer ! Quelle surprise ! Vous vous faites si rare...
— Je... j’étais en voyage.
— Quel nom dites-vous ?
— Saint Vaim.
— Ça ne me dit rien du tout. Vous êtes sûr de l’orthographe ?
— A vrai dire...
— Peut-être voulez-vous parler de la Sainte Vehme, dit tout à coup une voix teintée d’un fort accent français à ses côtés.
Kevin se retourna, et reconnut la fille de la photo. Un visage aux traits fins, une bouche sensuelle, des oreilles petites et nacrées, dévoilées par des cheveux bruns coupés court. Son regard brillant le scrutait avec intensité. Elle ne portait pas ses lunettes, probablement par coquetterie, mais la largeur de ses pupilles trahissait sa myopie. Celle-ci lui conférait d’ailleurs un charme troublant.
— Vous êtes Kevin Kramer ? demanda-t-elle. L’écrivain ?
— C’est moi ! Et vous, vous êtes Alexandra Delamarre ?
Elle acquiesça d’un signe de tête. Ils s’écartèrent de la bibliothécaire, intriguée par leur manège. La jeune femme l’observa avec curiosité, puis demanda :
— Pourquoi vouliez-vous me voir ? Et puis, pourquoi utiliser un stratagème aussi bizarre ?
— Je suis désolé, je ne suis pas responsable de ce rendez-vous.
Il sortit le papyrus signé de la croix Ankh et le lui montra.
— Jusqu’à hier, j’ignorais votre existence. Et puis, on a déposé ceci dans ma boîte aux lettres. J’aimerais bien comprendre.
Intriguée, la jeune Française examina le document, puis en sortit un identique de son sac, signé lui aussi de la croix Ankh. Une photo de Kevin était jointe, prise à son insu, dans un restaurant.
— J’ai reçu ça hier. J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une ruse imaginée par un dragueur pour me fixer rendez-vous. Mais votre nom m’était familier. La photo m’a confirmé que j’avais affaire à l’écrivain Kevin Kramer. J’étais flattée que vous souhaitiez me rencontrer, mais vous auriez pu me contacter directement chez moi.
— Je vous ai dit que je n’étais pour rien dans ce rendez-vous. Et j’espérais que vous pourriez m’apporter quelques explications.
— Comment le pourrais-je ? C’est la première fois qu’on me fait un coup pareil. Et j’aimerais bien savoir pourquoi.
Ils restèrent un instant silencieux, puis Kevin demanda :
— Connaissez-vous Paul et Katherine Falcon ?
— Quel nom dites-vous ?
— Falcon. Ce sont des spécialistes en objets anciens, qui habitent... enfin, qui habitaient dans l’Oregon.
— Ça ne me dit absolument rien. Pourquoi ?
— En fait, ce sont eux qui m’ont parlé de la... Sainte Vehme.
— Pourquoi vous intéressez-vous à la Sainte Vehme ?
Kevin hésita. Il ne pouvait décemment pas raconter les aventures étranges qu’il avait vécues dernièrement.
— Ils l’ont évoquée devant moi. Comme je suis curieux, j’ai voulu en savoir plus.
— Et que vous ont-ils dit ?
— Pas grand-chose ! C’est quoi, la Sainte Vehme ?
— Un tribunal un peu semblable à l’Inquisition, mais encore plus redoutable. Son nom vient du hollandais veem, qui veut dire corporation. La Sainte Vehme est apparue en Allemagne, pendant le XIIIème siècle, juste après la mort de l’empereur Frédéric II. Pendant vingt ans, l’empire a sombré dans une période de chaos que l’on a appelée l’Interrègne. C’était l’anarchie la plus totale. Tout le monde voulait s’emparer du pouvoir. Les princes et les villes instauraient leurs propres tribunaux, exerçaient leur tyrannie. Il y eut des abus. La Sainte Vehme est née de cette confusion. Des magistrats, de riches paysans et même quelques chevaliers Teutoniques voulurent faire régner l’ordre, et s’érigèrent en tribunal secret en prétendant agir au nom du pape. Le centre était à Dortmund, mais on estime qu’il exista plus d’une centaine de ces tribunaux occultes, répartis dans tout l’empire.
« Chaque nouveau membre devait subir des épreuves initiatiques, et jurer une fidélité totale à la Sainte Vehme. Malheur à celui qui la trahissait. Beaucoup y adhérèrent non par conviction, mais pour éviter d’être eux-mêmes victimes de ce sinistre tribunal. Les jugements rendus étaient terrifiants. Pour les délits mineurs, on pouvait s’en tirer avec une grosse amende. Les juges ne s’en privaient pas. Les crimes les plus graves étaient punis par des supplices atroces dont je vous épargne le détail. C’est surtout à cause de ces tortures abominables que la Sainte Vehme a laissé son empreinte dans l’histoire allemande. Elle a toujours exercé une fascination morbide, à cause de l’horreur des crimes qu’elle a commis au nom d’un simulacre de justice. Elle a essentiellement constitué un moyen efficace de combattre l’hérésie et un biais bien pratique pour s’emparer des biens de ses victimes.
— Et... cette Sainte Vehme, elle existe toujours ?
— Heureusement non ! Lorsque les rois ont repris les rênes de l’empire, ils ont ordonné son démantèlement. Elle a continué à rendre ses jugements dans la clandestinité, un peu comme le Ku Klux Klan, mais elle a fini par disparaître complètement au XVIIIème siècle.
Kevin marqua un instant de surprise. Pourquoi Katherine Falcon lui avait-elle dit de se méfier de la Sainte Vehme alors que celle-ci avait disparu depuis plus de deux siècles ?
— Cela a l’air de vous contrarier, remarqua Alexandra.
— Non, non, pas du tout. C’est juste que... vous me surprenez. Vous connaissez apparemment bien le sujet.
— C’est normal, je suis spécialiste en histoire médiévale. Mais je m’intéresse également à l’histoire de l’Amérique. C’est d’ailleurs pour cette raison que je suis à New York. Je suis française.
— Ça, j’avais reconnu à l’accent.
— Merci, fit-elle, vexée.
— Pardonnez-moi ! J’adore votre langue. Et d’ailleurs, je la parle un peu, poursuivit-il, en français.
Elle lui adressa un sourire irrésistible.
— Et vous avez, vous aussi, un accent déplorable !
— Eh bien, nous sommes quittes.
Ils demeurèrent un instant silencieux, puis Kevin déclara, un peu embarrassé :
— Nous ne sommes pas obligés de rester ici. Je ne sais pas pourquoi on a voulu que nous fassions connaissance, mais, si vous êtes d’accord, j’aimerais beaucoup donner satisfaction à ce on. Nous pourrions aller boire un verre quelque part.
— Pourquoi pas ?

EXTRAIT N°3
En fin d’après-midi, il offrit de la ramener chez elle. Ils revinrent vers l’endroit où il avait garé sa voiture. Au moment où ils arrivaient, ils remarquèrent un petit attroupement.
— Qu’y a-t-il ? demanda Alexandra.
— Je n’en sais rien. On dirait qu’il y a des flics.
Ils s’approchèrent. Soudain, Kevin s’écria :
— Mais c’est après ma voiture qu’ils en ont !
Il se mit à courir. Quelques badauds observaient deux policiers en civil qui passaient l’intérieur à la loupe. Un autre, en uniforme, écartait les curieux. Kevin eut le temps d’apercevoir les sièges avant et les tapis tachés de sang. L’un des flics en civil se releva et l’entraîna à part.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Kevin, affolé.
— C’est votre véhicule ?
— Oui !
— Eh bien, il va falloir nous suivre au commissariat. On a trouvé un cadavre dans votre voiture.

Au commissariat, un inspecteur nommé Mac Dowell reçut immédiatement Kevin, accompagné d’Alexandra. Celle-ci avait refusé de l’abandonner. L’inspecteur les invita à s’asseoir et tendit une photo à Kevin.
— Connaissez-vous cet homme ?
— Jamais vu ! C’est le type qu’on a retrouvé dans ma voiture ?
— Exact ! C’est une affaire vraiment étrange, Monsieur Kramer. Que faisiez-vous ce matin, peu avant onze heures ?
— J’avais rendez-vous avec Mademoiselle à la Grande Bibliothèque, dit-il en désignant Alexandra. Plusieurs personnes pourront le confirmer.
— Nous vérifierons. Avez-vous remarqué quelque chose de particulier ?
— Eh bien... avant d’arriver, j’ai eu l’impression d’être suivi. Lorsque je suis descendu de voiture, il n’y avait personne. J’ai pensé que je m’étais trompé. Mais dites-moi ce qui s’est passé, enfin !
Mac Dowell laissa passer un court silence, puis déclara :
— Cet homme s’appelait Mark Keitel. C’était un tueur professionnel spécialisé dans les explosifs.
— Un tueur ?
— Qui s’apprêtait à déposer une bombe dans votre voiture.
— Mais pourquoi ?
— Ça, il ne pourra plus nous le dire. Quelqu’un l’a tué avant.
— Comment ça ?
— Deux policiers en faction ont entendu des coups de feu en provenance du parking. Ils ont immédiatement repéré votre voiture. Ils ont découvert un véritable carnage. Il y avait du sang partout. Le médecin légiste autopsie le cadavre en ce moment. Mais ce n’est pas tout : les deux policiers se sont rendu compte qu’il tentait de placer un engin explosif sous votre tableau de bord.
— Et vous dites que quelqu’un l’a tué à coups de pistolet avant qu’il n’ait eu le temps de poser sa bombe...
Mac Dowell se leva et se mit à marcher de long en large. Enfin, il grommela :
— C’est là que tout se complique. C’est Keitel qui a tiré ces coups de feu. Les policiers ont entendu six détonations très rapprochées. Lorsqu’ils sont arrivés sur les lieux, ils n’ont trouvé que le mort, qui tenait en main un pistolet. Dans le chargeur, il manquait six balles. C’est donc bien lui qui a tiré, apparemment sur quelqu’un qui se tenait à l’arrière de la voiture. Difficile de manquer sa cible dans ces conditions. Pourtant, nous avons retrouvé tous les impacts de balle, mais aucune trace de sang autre que le sien. Et les policiers n’ont vu personne s’enfuir.
— Mais alors, sur qui a-t-il tiré ?
— Sur qui, ou sur quoi ! Ce type ne portait aucune trace de blessure extérieure.
Kevin pâlit. Le souvenir des soldats de Rocky Point lui revint en mémoire. Mac Dowell le contempla avec curiosité.
— Cela ne va pas, Monsieur Kramer ?
— C’est-à-dire... je me demande pourquoi ce tueur voulait coller une bombe dans ma voiture.
— C’est ce que nous aimerions savoir.
Mac Dowell se rassit et déclara :
— Prenons les choses dans l’ordre. Vous vous appelez Kevin Kramer, vous êtes un écrivain réputé. Voyez-vous quelqu’un qui pourrait vous en vouloir au point de tenter de vous supprimer ?
— Non ! Les livres que j’écris ne portent préjudice à personne. J’y parle de la mer et de marins disparus depuis longtemps.
— Je doute que ce Keitel ait agi ainsi simplement parce qu’il n’aimait pas vos bouquins. Il y a quelqu’un derrière lui. Vous n’avez vraiment aucune idée ?
Abasourdi, Kevin hésita à répondre. Compte tenu de la manière dont le tueur avait été éliminé, il était évident que cet attentat avait un rapport avec l’affaire Falcon. Cependant, il se voyait mal raconter son aventure à cet inspecteur qui paraissait encore plus pragmatique que lui.
— Il s’est peut-être trompé de voiture, suggéra-t-il.
— Ce genre d’individu ne commet pas d’erreur, Monsieur Kramer.


 
Retourner au contenu | Retourner au menu